Covid-19 : Wacsi offre une Plateforme d’échange d’expériences et de Recommandations pour les OSC sur l’Espace Civique
La majeure partie des Etats ouest-africains reconnaissent dans leur législation les libertés civiques comme un aspect essentiel pour construire une démocratie forte et résiliente. Néanmoins, en pratique, les Etats ouest-africains limitent de plus en plus les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique et réduisent du même coup les capacités d’action de la société civile. En effet, selon CIVICUS, aujourd’hui, 88,9% de la population ouest-africaine vit dans des espaces civiques réprimés ou obstrués.
D’autre part, dans le contexte de la pandémie mondiale de COVID-19, les Etats ouest-africains ont fermé leurs frontières, établi des couvre-feux et instauré des règles de distanciation sociale. Cependant, ces mesures sanitaires font face à des critiques des organisations de la société civile (OSC), au rang desquelles l’absence de soumission de ces décisions au débat démocratique et au contrôle parlementaire, et l’utilisation opportuniste de celles-ci par les Etats pour abuser de leurs pouvoirs.
Dans ce contexte, le 30 avril, l’Institut de la Société Civile d’Afrique de l’Ouest (West Africa Civil Society Institute, WACSI) a organisé un webinaire d’une heure et demie en partenariat avec CIVICUS et le Réseau Ouest-Africain des Défenseurs des Droits Humains afin d’offrir un état des lieux des restrictions les plus courantes auxquels sont confrontés les mouvements de protestation, les journalistes et les OSC en Afrique de l’Ouest.
L’évènement a permis d’informer les 55 participants issus de la société civile d’Afrique de l’Ouest sur les résultats obtenus par le nouveau rapport mondial développé par le CIVICUS Monitor relatif à l’état des libertés civiques en Afrique de l’Ouest et dans le monde. Ainsi, selon le rapport, en 2019, seulement 3% de la population mondiale vit dans un pays où l’espace pour la société civile est considéré comme ouvert. Si l’année 2019 a été une année de contestations et de manifestations, elle a aussi été une année de recul significatif pour l’espace civique. Plus spécifiquement, en Afrique, la principale violation de liberté civique est la dispersion de manifestations, a expliqué Ine Van Severen, chercheuse à CIVICUS Monitor. Suivent l’arrestation pendant les manifestations, la censure, dont la coupure de l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, et les attaques contre les journalistes.
A travers à un panel de 5 experts de la société civile en Afrique de l’Ouest, le webinaire a pris la forme d’un partage de connaissances et d’expériences autour de l’espace civique en Afrique de l’Ouest, du Togo à la Guinée en passant par la Côte d’Ivoire. Selon Nahounou Daleba, Vice-Coordinateur national chargé des droits de l’homme et des relations avec les OSC de la Coalition des Indignés de Côte d’Ivoire, il y a actuellement, dans le pays, une restriction significative de l’espace civique à l’approche des élections ivoiriennes prévues en octobre 2020. Parmi les nombreuses arrestations, en 2019, d’acteurs de la société civile, de syndicalistes, de journalistes, de cyber-activistes et d’opposants politiques, il a cité le cas du journaliste Hubert Yao Konan, détenu depuis le 4 août 2019 à la prison de Bouaké pour avoir organisé une manifestation contre l’ouverture d’une mine d’or, à N’Ka, au centre-est du pays.
Un constat également partagé par Pierre-Claver Akolly Dekpoh, Chargé des Programmes Promotion et Levée des fonds au Réseau des défenseurs des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest, qui a noté, au Togo, des restrictions des libertés publiques depuis 2017, mais accentuées en 2019. Selon lui, si le cadre réglementaire togolais garantit théoriquement les libertés civiques, c’est la mise en application de ces libertés qui pose problème. Par exemple, au Togo, il existe une loi qui reconnaît la liberté de manifestation. Cependant, elle a été récemment modifiée sans consultation avec les acteurs de la société civile, ce qui a entrainé de vives critiques par les défenseurs des droits humains aux niveaux local, régional et international, dont quatre rapporteurs internationaux des Nations Unies.
Pour sa part, Sékou Doré, Coordonnateur national du Réseau Afrique Jeunesse de Guinée (RAJGUI) a fait valoir du deux poids deux mesures qui prévaut concernant le traitement par l’Etat des organisations proches du pouvoir et celles dans l’opposition. D’un côté, les partis politiques et la société civile proches du pouvoir en place sont toujours autorisés à organiser des rassemblements ou des manifestations. Mais de l’autre, les marches pacifiques organisées par le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) ont été constamment interdites et réprimées dans le sang.
Ces restrictions de l’espace civique sont encore davantage accentuées pendant l’épidémie et empêchent la société civile d’exercer leurs activités, a souligné Clément Voulé, Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association. Il a également critiqué, dans plusieurs pays ouest-africains, l’absence de consultation préalable avec la société civile sur la possibilité d’organiser des élections et la décision unilatérale de modifier le calendrier électoral. Il a ainsi appelé les OSC à continuer d’exercer leur rôle en partageant des informations relatives à leurs activités et aux restrictions de l’espace civique avec le rapporteur spécial des Nations Unies (le lien pour soumettre une information au rapporteur est accessible ici).
Face à ces défis, selon Christian Elongue, Responsable de Programme dans le département de Gestion des Connaissances à WACSI, les OSC ouest-africaines doivent mieux se préparer aux violations des libertés civiques en Afrique de l’Ouest. D’après lui, il est fondamental que ces OSC renforcent leur résilience en développant et en mettant en place des stratégies proactives pour se préparer à des crises futures. Il a ainsi encouragé les OSC à renforcer leur soutenabilité financière, à travers la mise en place d’un budget de réserve, mais aussi organisationnelle, à travers l’utilisation intelligente de l’activisme digital, ou la création d’alliances et de partenariats larges et inclusifs. Pour en savoir plus sur les recommandations aux OSC pour protéger l’espace civique, vous pouvez accéder à notre Op-Ed ici (en anglais).
Le caractère informatif et interactif du webinaire a été très apprécié par les participants, avec 67% d’entre eux qui se sont dit satisfaits de la formation. Selon un participant, la formation “nous a permis de voir la situation dans nos pays par rapport à la liberté civique, et aussi de mieux connaitre les organisations et mouvements de défense des droits et de de la liberté civique dans nos pays”. Un participant a également souligné la pertinence de l’évènement dans le contexte actuel : “Toutes les interventions sont d’actualité au vu de la situation actuelle due aux mesures que nos gouvernements sont en train de prendre pour limiter la propagation du COVID-19″.
L’engagement actif de l’ensemble des acteurs réunis sur cette plateforme d’échanges pour un espace civique ouvert en Afrique de l’Ouest démontre une fois de plus la contribution essentielle de la société civile à la vitalité démocratique. A travers leurs différentes remarques, les participants ont promu la nécessité, surtout en période de crise, de la participation de la société civile dans la gestion des affaires publiques, et ce, à travers plusieurs propositions : davantage de contrôle citoyen des dépenses allouées à la gestion de la pandémie, un suivi plus approfondi des mesures gouvernementales prises liées au COVID et la mise en place de stratégies efficaces pour faire face aux défis posés par les limitations de l’espace civique, pour ne citer que quelques-unes des recommandations constructives de ces acteurs de la société civile.
About the author
Yse Auque-Pallez holds a Bachelor in Social Sciences and Philosophy from Sciences Po Paris and La Sorbonne Paris IV since 2018, she is a Second Year Master's degree student in International Development with African Studies and Project Management Majors at the Paris School of International Affairs (PSIA - Sciences Po).